Jusqu’en 1895, Henri habite chez ses parents rue Saint-Antoine et les retrouvailles entre amis pour la balade dominicale se font dans les gares, à la place de la Bastille, … et à la brasserie l’Espérance.
en 1893 Henri écrit:
19 février : «Je vais chercher Hardel rue de la Tombe-Issoire à 9H. Nous partons vers le bois et rencontrons à l’Espérance un de ses amis un peintre nommé Fournier. Nous allons tous trois déjeuner chez Moiraux à Suresnes.»
5 mars : «Nous nous retrouvons Hardel, Fournier et moi au parvis Notre Dame. Nous allons à l’Espérance où nous rejoint un cousin d’Emile. Nous allons déjeuner à Versailles au café de la place d’armes.»
12 mars : «J’ai donc fait ce retour en 2H¼ au pont de Suresnes et 2H½ à l’Espérance.»
11 mai : «Nous partons à 8H½ de l’Espérance Hardel, Cornet, Lafarge et moi. Nous gagnons Versailles et Voisins-le-Bretonneux.»
12 aout : «Je vais trouver Gaston à 1H½ près de l’Espérance. Pendant que nous attendons Hardel qui n’arrive qu’à 2H moins 10, nous voyons passer Tixier et tous quatre nous partons à 2H précises.»
10 septembre : «Nous revenons diner chez Mr Feneuil et vers 10H, munis de lampions nous reprenons le chemin de la capitale. Est-ce le vin nouveau ou les vieilles bouteilles de Dailly, mais l’équilibre d’Emile est fort compromis et ce n’est qu’en arrivant à l’Espérance vers minuit qu’il commence à devenir plus stable.»
23 octobre : «De l’Espérance au haut de la cote du Pecq nous mettons 55 minutes.»
puis le 5 avril 1895 : «Il fait un clair de lune superbe. Nous arrivons à Suresnes vers 11H¼, absorbons un grog que j’essaie vainement de flamber, refilons vers l’Espérance et rentrons chez nous à 1H du matin.»
Il existe encore aujourd’hui plusieurs bar/brasserie de ce nom sur Paris dont une avenue de l’Université qui aurait pu être sur son chemin. Mais dans la carnet de 1889 Henri évoque à 4 reprises des rendez-vous Avenue de la Grande Armée.
17 mars : «Le temps reste très incertain toute la journée. Le matin même il pleut légèrement. Malgré cela nous partons à 8H¼ de l’Avenue de la Grande Armée.»
24 mars : «Départ à 8H20 de l’Avenue de la Gde Armée. Nous arrivons à Achères à 9H55 »
31 mars : «Départ à 8H20 de l’Avenue de la Gde Armée. Nous sortons de Paris par la porte de Chatillon. »
21 avril : «Nous partons à 7H de l’Avenue de la Grande Armée, le Samedi soir. Nous arrivons à Versailles à 8H15 où nous couchons à l’Hôtel de la Paroisse.»
Il y a donc de fortes chance que la brasserie en question se situe dans cette avenue.
Dans mon “enquête” pour retrouver ce lieu, je suis tombé sur la description d’un établissement du même nom qui aurait pu convenir à nos jeunes cyclistes (autre temps, autres mœurs) mais dont la localisation ne convient pas. Je le cite ci-après pour mémoire :
Il pourrait s’agir d’une « brasserie de femmes ». La première brasserie de ce genre vit le jour rue des Maçons-Sorbonne, devenue rue Champolion. Son nom était : “La brasserie de l’Espérance” et employait quatorze filles. Aussitôt baptisée par les étudiants les Quatorze fesses. Ces établissements, maisons de tolérance déguisées qui bénéficiaient d’une curieuse mansuétude de la préfecture de Police. Les filles et les “tauliers” n’étant pas soumis aux mêmes règles que les bordels. Ni sur le plan juridique, les filles n’étant pas obligées d’être déclarées, et les locaux n’ayant pas les obligations d’hygiène imposées aux maisons closes.
Les recherches historiques nous amènent parfois sur de fausses pistes … amusantes!
Mais c’est Stéphane Cochet qui a trouvé la solution, qui l’a publiée dans le forum Tontonvélo et qui nous permet de la reprendre ici:
En 1893, Henri a généralement rendez-vous avec ses compagnons de route à La Brasserie de l’Espérance. Henry de la Tombelle fait aussi partie des habitués de cet établissement, comme il nous le conte dans UN DEMI-SIECLE DE VELO (page 4, 6e feuillet) : « En dégustant un apéritif à la Brasserie de l’Espérance, on regardait son vélo appuyé à un arbre d’en face et l’on tenait à être fier de « son chic ». » Pour sûr, cette brasserie est un lieu de rendez-vous privilégié des cyclistes !
L’Espérance est une bière alsacienne brassée à Schiltigheim (en territoire allemand à cette époque), ainsi qu’à Ivry. (source).
Revenons au lieu de rendez-vous. Il a existé une Brasserie de l’Espérance place de la République à Paris. Mais Henri nous raconte que, le 1er mars 1893, il parcourt la distance du pont de Suresnes à la Brasserie de l’Espérance en 20 mn. Il ne peut donc pas s’agir de la place de la République. Depuis le pont de Suresnes, en 20 mn, on est à la porte Maillot, en bas de l’avenue de la Grande-Armée. Tiens, nous voilà arrivés au bas de celle qu’on surnomme l’avenue du Cycle, où on compta jusqu’à plusieurs dizaines de magasins et ateliers de cycles ainsi que l’usine CLEMENT, rue Brunel, à quelques pas. Les cafés et les restaurants de l’avenue sont les rendez-vous des cyclistes, avant ou après la balade.
Henri nous permet ainsi de retrouver facilement la Brasserie de l’Espérance. Il nous suffit de feuilleter l’Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature.
La Brasserie de l’Espérance était donc installée au 85 de l’avenue de la Grande Armée, c’est-à-dire à quelques tours de pédalier de la porte Maillot. On peut situer la brasserie sur cette photo :
Au premier plan (n°89bis) l’Hôtel du Cycle et le café-restaurant des Sports, puis (n°89) la boutique de vélos « André », ensuite (n°87) l’entrée du Manège et divers magasins, la Brasserie de l’Espérance est juste après.
Il nous faut entretenir le souvenir de cette belle brasserie de l’Espérance, grand rendez-vous des cyclistes, peut-être les plus sportifs, qui pouvaient se raconter leurs aventures vélocipédiques en dégustant une bonne bière tout en admirant leurs vélos appuyés aux arbres! Il est bien possible que la Brasserie de l’Espérance soit citée par d’autres cyclistes, restons en alerte dans nos lectures…
Je ne sais pas si vous êtes parisien, mais les abords de l’avenue ont bien changé en cet endroit. Adieu boutiques, manège vélocipédique, cafés, brasserie et hôtel, d’austères et déjà démodés immeubles de bureaux les ont remplacés.
Merci à Stéphane pour cette magnifique enquête.
A partir de 1896, l’Espérance sera délaissée par nos cyclistes. Ils s’y arrêtent néanmoins quelquefois, peut-être par nostalgie:
4 août 1901 : «Nous revenons par l’Espérance et sommes chez nous vers midi.»
22 mars 1903 : «Un long demi siroté à l’Espérance nous permet de constater l’abondance de motocyclettes.»
Pour compléter cette rubrique je me suis procuré le livre de Jacques Seray “La Reine Bicyclette” mentionné plus loin dans les commentaires par Daniel Fleira. Je me suis permis d’en extraire la photo et le texte ci dessous.
Bonjour,
Cela faisait un bon moment que je n’étais passé prendre des nouvelles du 37.
Bravo pour l’enquête sur la brasserie de l’Espérance !
Comme j’aime bien ce type d’enquête historique, en partant des éléments mis en ligne sur le blog, j’ai mené quelques recherches supplémentaire.
Peut-être avez-vous déjà ces éléments, mais je vous les partage au cas où.
La brasserie de l’Espérance était semble-t-il bien plus qu’un simple débit de boissons.
C’était aussi, à cette même adresse du 85 avenue de la Grande Armée, le siège social de la Société Vélocipédique Métropolitaine. Ci dessous article du Petit Parisien du 14/01/1895
Visiblement les inscriptions à divers évènements vélocipédiques se faisaient à la brasserie de l’Espérance.
En lançant des recherches sur cette brasserie sur le site BNF Gallica, on trouve une multitude d’occurrences en relation avec le vélo.
Autre éléments intéressant, sur cet blog qui reprend un article de Match l’Intran n°628 du 31 mai 1938, rédigé à l’occasion de l’anniversaire de la première course cycliste sur route.
On peut y lire :
“Des noms de champions nous restent et il nous a paru intéressant de donner une des premières photos qui illustraient les faits et gestes de ces champions.
Le café de l’Espérance, avenue de la Grande-Armée – il est maintenant la brasserie le Touriste – les rassemblait.”
Les champions cyclistes s’y rassemblaient semble-t-il lors des épreuves. On y apprend également que la brasserie de l’Espérance est devenue plus tard (avant 1938) la brasserie le Touriste.
Il y a également une illustration, qui vraisemblablement correspond à cette brasserie, même si la légende parle du café de l’Espérance.
A noter que le TCF était également avenue de la Grande Armée, au n°65. Donc pas très loin du fameux n°85.
Dès 1910, au 83 avenue de la Grande Armée s’installera un cinéma, le Royal Maillot ou Grand-Royal.
En approfondissant les recherches sur Internet et Gallica, il doit y avoir moyen de retrouver une photo de l’entrée du cinéma en question. Et si la photo n’est pas cadrée trop serré, peut-être y apercevoir un bout de l’Espérance.
Amicalement.
Daniel
Pour des photos, il faut que j’aille à la bibliothèque historique de la ville de Paris. Ils ont une riche collection iconographique.
J’ai trouvé une autre source.
Dans le livre La Reine Bicyclette aux éditions Le Pas d’oiseau, il est fait mention de l’Espérance.
L’éditeur permet de visionner quelques pages. A la page 59 on peut lire :
Ainsi le Paris cycliste, se confondant avec le Paris aisé, regardait vers l’ouest.
Sa vitrine, l’avenue de la Grande-Armée, était représentative de cette orientation.
L’Union vélocipédique de France, la fédération des pédaleurs d’alors, avait fini par s’y loger.
Mais il était des sièges sociaux plus officieux, telle la Brasserie de l’Espérance.
Au bas de l’avenue, elle rassemblait, dans le parfum d’absinthe et les effluves de choucroute, les commentateurs vélocipédiques les plus véhéments.
On y comparaît les mérites de Lesna et de Jules Dubois et l’on s’étonnait de la…