Le 12 mai 1895, Henri participe à l’épreuve des 90 km organisée par le Touring Club de France:
« C’est aujourd’hui l’épreuve du T.C.F. sur route. Après avoir minutieusement examiné et graissé ma machine, après m’être frictionné les jambes d’alcool camphré, après avoir absorbé deux œufs dans un bouillon, je pars vers 6 H moins le quart et me dirige doucement vers la Porte Maillot.
J’avais donné rendez-vous au chalet du T.C.F. à Robert et à Schaunard, mais ni l’un ni l’autre ne paraissent. Le premier est consigné, et le second qui devait venir avec une bande d’amis est retardé par une avarie à son tandem.
Je me dirige donc seul vers le Bd Maillot : c’est là au coin du Bd Wallace qu’a lieu le départ. En échange d’une signature on me donne un splendide brassard de moire blanche où mon numéro – 139 – se détache en chiffres noirs. Je me l’épingle au bras gauche. Peu après arrivent un collègue du bureau, Jean Chagrin et son beau-frère.
Enfin à 7 H, au signal de Mr Bailly[1] nous partons au milieu d’un nuage de poussière. Nous sommes 113.
Je vais d’abord lentement pour éviter les accidents et cette poussière insupportable mais quoiqu’un des derniers, au raidillon du Haras que la plupart font à pied, je double pas mal de concurrents.
Déjà dans la fugue du départ plusieurs accidents se sont produits. Avant le pont de Chatou je rencontre Gompertz, puis son frère mais je vais trop vite pour eux et je les lâche bientôt. Après avoir gravi la côte du Pecq dans laquelle je rattrape beaucoup de coureurs, j’arrive à St Germain à 7 H 50.
Je ne me souviens plus bien de l’itinéraire pour gagner la route des 40 Sous, mais un aimable concurrent m’offre de me l’indiquer, et nous roulons ensuite cote à cote.
Cote à cotes est le mot, car elles sont nombreuses. Malgré cela grâce à l’absence de vent nous marchons très bien. Un monsieur possesseur d’un entraineur automatique me dit un moment que nous filons à 28 à l’heure.
À Flins, Léo m’attend comme il était convenu. Il me donne deux œufs. J’en offre un à mon compagnon, puis après s’être un peu débarbouillés nous repartons à la remorque de Léo.
Dans Épône, mon compagnon lâche et nous arrivons à Mantes à 9 H 10.
Dans le café où est le contrôle se trouvent trois grands baquets pleins d’eau, où chacun se débarbouillent à la hâte. Je bois une tasse d’un mauvais bouillon froid et je repars.
Ce bouillon m’a lavé l’estomac et je me sens moins en forme. Cependant le train est toujours bon. Au bas de la côte de Rolleboise surgit un contrôleur qui prétend que je me fais entrainer. Il n’a pas tout à fait tort mais je proteste tout de même énergiquement lui disant d’ailleurs que cela m’est parfaitement égal d’être disqualifié.
Je fais la côte à pied et arrive à Bonnieres à 10 H. Je commets l’imprudence de ne rien prendre et mon vannage s’accentue.
Avant Vernon, Léo qui maintenant ne me précède de très loin pour éviter un nouveau rappel à l’ordre, s’arrête car il est inutile qu’il se paie la traversée pavée de la ville. 3 Km avant celle-ci, j’ai croisé les deux premiers qui reviennent vers Bonnières. Le virage est à 3 Km 800 de Vernon. J’espérais trouver de quoi m’y restaurer, mais il n’y a là que trois délégués. Cependant ce virage effectué m’a remis un peu de cœur au ventre et je me redirige vers Vernon avec énergie.
Je croise à mon tour beaucoup de coureurs qui me demandent si c’est encore loin.
Je rentre en ville, examine en passant l’église assez curieuse et trouve enfin l’hôtel du T.C.F. où je me fais servir une tasse de bouillon chaud, un œuf et un gros morceau de pain que j’engloutis en un instant.
Je repars à 11 H. Au moment où je rejoins Léo, il me tend un verre de vin blanc. Il est exquis et me parait d’autant meilleur que je ne m’y attendais pas. Aussi je marche maintenant très bien. Léo part devant et j’entraine deux coureurs qui se sont placés derrière moi.
Un peu avant Bonnieres, ces deux messieurs voulant sans doute me battre à l’arrivée, emballent tout d’un coup, et je les laisse filer avec placidité.
À 11 H 38 je jette mon numéro aux contrôleurs de l’arrivée qui pointent mon temps et me répondent 4 H 38. C’est fait.
Je rentre aussitôt à l’hôtel où nous nous livrons aux douceurs d’une longue ablution, puis pendant que Léo guette un de ses amis nommé Courard qu’il a aperçu à Flins dans la course j’absorbe avec béatitude une excellente absinthe.
Peu après arrive le monsieur qui m’a accompagné jusqu’à Épône. Il est malade et essaie vainement de manger. Léo revient avec son ami : il est arrivé à 11 H 59.
Devinant qu’on mangerait fort mal dans cet hôtel, je propose d’aller déjeuner à la Roche Guyon d’exquise mémoire. C’est accepté, et après une explication avec mon contrôleur de Rolleboise, nous voilà partis.Nous reprenons une absinthe à Freneuse et arrivons à la Roche Guyon à midi ¾. Le village est toujours charmant et je le revois avec enthousiasme. Mes deux amis, en qualité de peintres sont enchantés aussi et nous nous mettons à table avec un appétit de mauvaise augure. Au premier se trouve une nombreuse société de jeunes gens très aimables qui jouent du piano et qui nous bombardent de gâteaux secs de leur fenêtre.
Nous déjeunons dehors, devant un merveilleux paysage, et comme il fait très chaud, nous faisons arroser de temps en temps autour de nous par un jeune domestique. Après le café, en humant un cigare, nous nous acheminons vers le château et après avoir attendu que la concierge ait fini de donner à téter à son jeune enfant, nous obtenons de visiter.
[1] Président du TCF »
L’hygiène sportive a quelque peu changé. Quelques absinthes, un bon repas arrosé, café et cigare et les voilà repartis vers Paris!
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